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Poèmes de Jacques Brault

Writing from Quebec

            Or je ne sais pas je ne sais plus s'il faut parler ou
me taire laisser les eaux couler ou me rouler en elles
m'oublier dans l'instant qui tourne le coin de la rue
ou m'habiter jusqu'à l'os jusqu'au cri

            Dis le sais-tu toi qui m'écoutes et me regardes le
sais-tu ce que c'est que je ne dis pas que je ne dirai
jamais et c'est là entre nous comme un soir qui
tombe et nous oscurcit

            À voix basse baisse la voix je t'en prie approche
et que ton souffl me touche à l'oreille cela fait un
bruit que j'avais oublié la parole humaine


Extrait de Visitation, Mémoire, page 27


Humide comme la flamme humble comme la
                chandelle tu éclairais ce que tu ne voyais pas

Je t'ai regardé souvent le soir inutile au milieu de ta
                nichée tu t'agitais maladroit comme un gros chien

Moi j'avais honte quand tu partais lourd sans travail
                et penaud dans ton sourire glauque

Je savais qu'à l'heure de midi tu allais t'aseoir
                quelque part dans la ville sale et triste

Et seul et misérable à la vue des gens tu serais
                mon père

Celui d'où je viens mon nom et ma croyance ce
                que je suis

Celui que sa femme n'aime guère celui qui n'a pas de
                chance et ne mérite pas qu'on le haïsse

Et maintenant tu achèves et j'ai honte de n'avoir
                que pitié un reste d'amour et qui a durci comme
                une croûte dans un recoin de mon enfance


Extrait de Mémoire, page 41

On appelle ça vivre
ne cherche pas il
n'y a pas de routes

mais les sentiers que nous fîmes
à travers demi-sommeil et
un vent noir y frappe debout
fige ceux-là qui croient
encore vivre


Extrait de L'en-dessous, l'admirable, page 66


Ce serait à la fin
d'un mauvais hiver
le sel de neige tournant au noir
quelques moineaux piaillant
dans les ruines
d'un château d'eau dynamité

te voici au bout dela rue
ombre venue voir une ombre
ton dernier soir
qui tombe
ici


Extrait de Poèmes des quatre côtés, page 77


Le soleil va disparaître et tout à coup la rue s'emplit
de sang. On nage dans l'éblouissement. J'aimais bien
glisser ainsi vers la Côte-des-Neiges. C'était l'heure de
parler la mélancolie. En ces temps-là, j'errais autour,
qu'ils disaient, d'un impossible. Des objets, toujours
les mêmes, balisaient mon chemin. Je serais en peine
de dire lesquels. Non, ce n'est pas une affaire de
mémoire. Le non-sens, le lourd et le massif de
chaque jour, commence aux petites choses. Une
fourchette tinte contre une assiette et cet aigu ouvre
des ailes à la tristesse noire, on ne sait pas quoi,
pourquoi, on ne devine même pas un vague alen-
tour. On mène sa vie à petites guides et on finit par
se ramasser dans un creux, tibias et clavicules
enchevêtrés, espoirs et dégoûts éparpillés. On a tout
gaspillé pour l'horreur d'être là, hilare. On rit de ce
mot rare, à en mourir et, bondieu, on se survit.


Extrait de Il n'y a plus de chemin, page 121




Tous tirés de Poèmes choisis 1965-1990 (Éditions du Noroît, 1996)